En 1936, le gouvernement français a renoncé à soutenir les républicains espagnols, sous la pression des anglais. En 1938, il abandonne les tchécoslovaques. Cette double capitulation est un suicide de la France.
par Jean-Richard Bloch
En 1936, le gouvernement français a renoncé à soutenir les républicains espagnols, sous la pression des anglais. En 1938, il abandonne les tchécoslovaques. Cette double capitulation est un suicide de la France.
18 SEPTEMBRE- 7 OCTOBRE
Europe, 15 octobre 1938
Pour aujourd’hui, je veux me contenter de soumettre à nos lecteurs deux textes : une lettre privée, un article public.
La lettre, je l’ai adressée à un ami qui dirige un grand périodique, quelques jours avant que M. Neville Chamberlain, le « daddy New » d’une certains presse parisienne, prit son vol vers Berchtesgaden pour y recevoir le premier ultimatum du Führer et pour y jeter les bases du condominium anglo-hitlérien.
Elle traduit assez bien, je pense, les sentiments qui torturaient. alors des millions d’Européens. Ils se sentaient couler vers la guerre ou la capitulation, et ils ne voulaient ni de l’une ni de l’autre.
Les événements vont si vite, que je crois utile de fixer, en publiant ce document, l’état de nos esprits à une date qui, à un mois de distance, nous paraît préhistorique.
Le second de ces textes a été écrit au lendemain de ce pacte de Munich, qui met fin à l’existence indépendante d’un Etat ami, organise son dépècement par les soins de ses propres Alliés, renverse la situation réciproque des gouvernements en Europe, réduit la nation française à l’état de vassale de trois puissances capitalistes, organise la servitude, institue sa décadence, et, loin de lui assurer, à ce prix effroyable, la paix, ne lui procure qu’une trêve précaire en vue de cette guerre d’anéantissement, prédite et préfigurée, point par point dans Mein Kampf.
I
Vichy, le 18 septembre 1938
Mon Cher ami,
II y a deux ans et un mois, je publiais sous le titre : Pour empêcher le suicide de la France, un grand papier, consacré à la guerre d’Espagne, alors naissante. Ce papier figure dans mon bouquin sur l’Espagne.
... Je ne sais pas ce que les événements nous réservent, ni combien d’heures il nous reste avant l’écroulement matériel de notre civilisation dans la guerre, ou son écroulement moral dans la honte. Car tel est le dilemme où nous ont enfermés les faibles, les lâches, les imbéciles et les misérables qui gouvernent nos affaires extérieures depuis la fin de la guerre, - et depuis 1936 comme auparavant.
Je ne sais même pas si j’aurai le temps de recevoir une réponse à cette lettre avant que la France et la société soient emportées dans le cyclone. Si le temps m’en est laissé, ce sera que le « Dominion France » se sera incliné devant les ordres de la City, que la Tchécoslovaquie sera anéantie comme puissance indépendante, et qu’en attendant que vienne notre tour, nous serons réduits au rôle d’une Suisse plus tentante et plus vulnérable.
A tout hasard, je viens vous demander de m’ouvrir les colonnes de votre revue pour un papier qui pourrait avoir pour titre quelque chose comme : Puisque la France a préféré le suicide.
Je vous fais celle proposition, de mon lit de malade, où m’ont conduit quatre années de lutte antifasciste, vingt-six mois de lutte pour l’Espagne, vingt mois de Ce Soir.
Je suis sérieusement touché. Les toubibs ne blaguent plus. Mais ta tête reste bonne et j’ai envie, j’ai besoin, de poser très clairement le problème, tel qu’il m’apparaît : il était possible, même après Clemenceau, Poincaré, Tardieu, Laval et Flandin, de sauver la France, l’Europe et la civilisation, dans la paix, par la paix, - mais une paix conforme à la véritable définition de ce mot, et qui ne se serait pas contentée d’être une non-action, une non-guerre.
Cela, les Français - à part une poignée d’entre eux, quelques centaines de milliers, - ne l’ont pas compris, ne l’ont pas senti, ne l’ont pas voulu. En vertu de l’accélération des périodes historiques, les gouvernants de gauche et la grande masse des intellectuels de gauche sont arrivés à faire autant de mal, en deux ans, que les autres en avaient fait, en vingt années.
On ne sauve pas les gens malgré eux. Une politique de paix active, une politique active de la paix, n’aurait pu être menée qu’avec l’assentiment et la compréhension spontanées des grandes masses et des élites, étroitement associées.
J’en viens à me dire que les masses socialistes et radicales, si elles n’avaient pas perdu la tête à cause des responsabilités gouvernementales de leurs chefs, et si elles avaient été dans l’opposition, auraient conservé une claire vue du problème.
Avec une brute comme Poincaré au pouvoir, et une forte opposition menée solidairement par Daladier, Blum et Thorez, nous n’en serions pas là où nous en sommes.
On ne sauve pas les gens malgré eux. Une politique telle que vous, moi et quelques milliers d’autres la préconisions, postulait un minimum de jeunesse et de spontanéité dans la nation.
Au lieu de ces deux vertus, nous nous sommes heurtés à la peur et à la sénilité.
Je sais qu’il faut en incriminer surtout la dernière guerre et l’effroyable ponction sanguine qu’elle a pratiquée dans le corps du peuple français, le privant de ses meilleurs.
Quoi qu’on en puisse penser, le fait est là. Et le fait est le suivant : on ne peut pas faire une politique jeune avec un peuple vieux, on ne peut pas faire une politique généreuse avec un peuple contracté, on ne peut pas faire une politique hardie avec un peuple effrayé [1] .
Il ne s’agit pas seulement de ce qu’on appelle puissance, grandeur, destin de la France. Ces monnaies ont été imitées par trop de faux monnayeurs pour garder une valeur loyale. Puisque le peuple français, dans sa grande majorité, a montré qu’il refusait d’associer le destin du pays à celui de la civilisation, et puisqu’il n’a pas voulu faire, à temps, les gestes qu’il fallait, propres à contrarier les desseins de ceux qui ne craignent pas la guerre pour instituer l’hégémonie de leur empire et de ses idoles, - alors, à Dieu va !
Tu l’auras voulu, George Dandin. Tu en mangeras, du pain d’affection !
Mais quant à venir nous dire que, la guerre, c’est nous qui la voulions, c’est nous qui y avons poussé - halte-là !
Maintenant que nous voici tous, pêle-mêle, au bord du trou, au bord de la fosse commune, attendant la dernière poussée qui va nous y faire tomber, employons nos dernières forces à faire rentrer les mensonges dans les gorges.
Qu’on le veuille ou non, on est solidaire des défauts de son pays autant que de ses qualités. Impossible de choisir. Impossible de dire : « J’accepte de mourir pour ses vertus, je refuse de mourir pour ses vices. »Tant pis pour toi, si lu es seul à sentir ta jeunesse dans un monde de vieillards, si tu es seul à prétendre que ce crépuscule est celui du malin et non pas celui du soir ! La dernière licence qui nous soit laissée est la recherche byzantine des responsabilités ; le « c’est pas moi, c’est toi ».
Voilà, mon cher ami, en bref, ce que je voudrais, dire dans cet article. Je crois désormais la France perdue, l’Europe et un certain type de civilisation condamnés sans retour. Et puis, après une gigantesque pagaye, qui durera je ne sais combien de générations, une Europe, une civilisation, une France toutes neuves renaîtront péniblement, surgissant du plus affreux bain de sang qu’il soit possible d’imaginer.
Le nouveau Moyen Âge, les politiciens au pouvoir nous y ont. entraînés, le jour du mois d’août 1936 où ils ont enchaîné te sort de la France à celui de la City, et fait, du peuple français, une des colonnes de ce temple voué à la ruine qu’est l’Empire britannique.
Le dernier sursaut de vitalité et de noblesse que l’Occident aura montré, c’est dans le peuple espagnol que nous l’avons trouvé. (Demain peut-être, le peuple tchèque essayera-t-il de mourir en beauté, lui aussi, voyageur perdu dans la steppe, l’hiver, au milieu d’un troupeau de loups, et qui se bat jusqu’à son dernier souffle.)
Je n’avais jamais désespéré, jusqu’à ces quinze derniers jours. Je restais convaincu que le sacrifice des Espagnols suffirait à sauver le monde. Désormais, les jeux sont faits, les dés sont jetés. L’Œuvre, Le Populaire, invoquent tous les matins Roosevelt, comme on invoquerait Dieu ou le Pape. Ces gens qui ont été incapables de se sauver eux-mêmes croient qu’un bonhomme quelconque y réussira parce qu’il est loin et parce qu’il est gros.
A présent, comme j’ai cinq enfants, des neveux, quantité de jeunes amis, une petite-fille déjà, je me dis que toute solution qui nous acheminera le plus vite possible vers la conclusion inéluctable de tous ces aveuglements, ces timidités, ces faiblesses, sera désormais la meilleure, puisque la plus économique.
Soyez sans crainte ! Ces dernières choses, je n’ai pas l’intention de les dire dans mon article, elles sont pour vous.
Je ne dirai pas non plus que, si les communistes, au lieu d’être 300.000 avaient été 600.000, les choses auraient pu prendre un cours bien différent. Je ne dirai pas non plus que le scrupule extrême qu’ils ont apporté à ne pas rompre le Front Populaire, en dépit de ce qu’ils pensaient de la politique espagnole du gouvernement, a peut-être été un sacrifice inutile, lui aussi. (Et encore, sur ce point, que sais-je ? Les masses qu’ils entraînaient étaient et sont encore trop faibles, en nombre, pour que, probablement, ils eussent pu adopter une autre conduite, avec quelque chance d’utilité.)
En 1936, nous avons pu prendre peur parfois de nous sentir si nombreux à avoir raison ensemble. Grâce à Dieu, ce n’est plus le cas. Et si la demi-solitude dans la pensée et dans l’action est une garantie de leurs vertus, eh, bien, ça y est.
Bien affectueusement à vous
JEAN-RICHARD BLOCH
II
Comme je l’ai dit plus haut, le second de ces textes a paru, le 7 octobre, dans Ce Soir, - un des rares journaux qui ont sauvé l’honneur et défendu les véritables intérêts du peuple français et de la « nation européenne ». Je reproduis intégralement cet article. Que ne puis-je le faire suivre des lettres qu’il m’a values, émanant de tous les coins de France, et, le plus souvent, tracées de la main la plus humble et la plus malhabile, mais si riches de sagesse, de courage, d’intelligence et d’amour !
SADOWA SOUS LES FLEURS
C’était, dimanche dernier, dans la ville d’eaux où, malade depuis des semaines, j’achevais un semblant de cure dans un semblant de repos.
La musique municipale trombonait dans le kiosque du Casino. Les filles des environs étaient descendues, bien attifées et jolies. Les citoyens, plus ou moins barbichus, discutaient le coup autour des tables de belote.
Au ciel, bleu et fin, deux avions cabriolaient, qui n’étaient pas des oiseaux de combat. Le crieur de journaux ne s’habituait pas encore à ce que son apparition ne provoquât point de bousculade. Dans le hall de l’agence de publicité, où on se pressait jusque-là, autour de la T.S.F., cinq fois par jour (et la veille encore), le haut-parleur bavardait dans le vide au-dessus des gosses jouant à cache-cache avec des cris pointus de martinets.
Les voitures portant les marques RL, NV ou BA repartaient gaiement, chargées à pleins essieux, vers Paris, Strasbourg, Nice. Les gars du pays passaient sur leurs vélos, riant de n’avoir pas à mourir, et allaient courir la course du canton. Il y avait une félicité dans le ciel, dans les yeux et sur les femmes. Qui accepterait - même au prix d’un peu de jeunesse rendue - de revivre celle semaine-là ?
Quel Français a dormi, dans la nuit de mardi à mercredi, 27 et 28 septembre, - entre autres ? Lequel de ces insomniaques, homme ou femme, n’a pas senti, physiquement, ces nuits-là, derrière son propre désespoir, et en arrière de son agonie personnelle, l’insomnie et l’agonie de l’Europe tout entière ?
Des millions d’hommes et de femmes ont passé ces mêmes heures, comme en cauchemar, à tenter d’arrêter, de leurs mains nues, la locomotive aveugle du destin sur ses rails trop glissants. Ont essayé de prier, de s’insurger, de sangloter, et, encore une fois, pendant qu’il en était temps, d’aimer.
Comment ne pas comprendre, aujourd’hui, l’affreux et délicieux soulagement ?
Pour une fois, la mobilisation n’a pas été la guerre. Ces femmes, ces mères, ces filles, qui ont regardé partir, sans cris, avec dignité, avec héroïsme, le mari, l’amant, le père, le fils, comment ne pas comprendre qu’elles laissent tomber tout à coup la cuirasse de silence et montrent la chair tendre de leur joie ?
Dans le décor si français de ce petit dimanche provincial, ces choses se laissaient voir avec une limpidité apparente.
On veut qu’il y ait eu des hommes qui aient souhaité la guerre. Des polémistes sans vergogne nous accusent d’y avoir poussé, à la guerre. Je reçois des lettres, des menaces, des objurgations. Il paraît que nous serions des « bellicistes ».
Si la bêtise ou la méchanceté offraient de quoi rire, nous ririons.
Aimer la guerre ? Pousser à la guerre ?...Je porte moi-même, dans mon corps et dans mon esprit, les traces brûlantes de la dernière, ses blessures physiques et ses plaies morales.
Autour de moi, ce ne sont que jeunes gens affamés de vivre, mes cinq enfants, que la guerre toucherait tous, dès la première Heure, - ces autres que j’aime à l’égal des miens, tous mobilisables, aux postes les plus exposés, - ce frère, as de l’aviation, il y a vingt ans, qui repartirait, capitaine aviateur, - ces amis...
Il y a ces trésors de la vie et de la pensée, - ces écoles et ces laboratoires, ces hôpitaux et ces musées., ces cathédrales et ces ateliers, ces villes adorables et ces paysages exquis, - voués à la torpille aérienne, à l’incendie, à la pulvérisation, toute notre civilisation menée à la ruine. (Regardons vers l’Espagne ou la Chine pour avoir un faible avant-goût de ce qui nous attendrait tous, amis ou adversaires d’une heure, bientôt confondus dans la même cendre.)
Et nous serions bellicistes ? Nous appellerions cette guerre ? L’infamie de certains calomniateurs est sans limite...
Pourquoi donc n’ai-je pu partager sans réserves l’élan animal de bonheur qui a soulevé les foules de France et d’Angleterre quand les pèlerins de Munich nous sont revenus, dans leurs beaux avions argentés ?
Pourquoi ?
Demandez-le à M. Duff Cooper, à M. de Kerillis, à M. Winston Churchill, à M. Gabriel Péri, à M. Archibald Sinclair, à M. Buré...
Demandez-le à ces millions d’Américains qui, pétrifiés par la stupeur et la honte, regardent, sans oser comprendre, le travail fait en quinze jours, de Berchtesgaden à Munich, par les maladroits chirurgiens de la Tchécoslovaquie, de l’Europe et de la démocratie ?
La réponse à ce pourquoi, demandez-la aux discours de triomphe, prononcés, à Berlin par Hitler, à Rome par Mussolini, quand ils sont revenus de la conférence ; demandez-la aux articles encore plus insolents et plus explicites de leurs porte-parole, les journalistes nazis et fascistes, chargés d’interpréter la doctrine des maîtres.
Demandez-la, aujourd’hui, au président Bénès, dont le discours de démission n’est qu’un long adieu à la France et à l’idée que le monde s’était toujours faite de la France et de ce qu’elle incarnait, jusqu’à ce jour.
Demandez enfin cette réponse aux premières nouvelles qui nous arrivent d’un « arrangement » des affaires d’Espagne, analogue à celui qu’on vient de réussir en Tchécoslovaquie. « Et si les Espagnols s’y opposent, disent déjà les drogmans de la pensée officielle, dans la presse dite française, on le leur imposera comme on l’a fait aux Tchèques. »
On nous objecte : « Nous étions enfermés dans ce dilemme : ou la guerre, ou bien la paix dans le déshonneur. Nous nous en sommes tirés au moindre mal. »
– Cet argument ne me touche pas. Si nous payons des diplomates et des ministres, c’est précisément pour qu’ils nous évitent de nous trouver saisis en de pareils dilemmes. Et s’ils n’y arrivent pas, s’ils n’y sont pas arrivés, qu’ils rentrent dans le rang, qu’ils disparaissent !
Le pays n’a que faire d’incapables, qui viennent présenter leur justification avec des larmes dans la voix et la main sur le cœur, - si même ils ne se font pas gloire de leur désastre, comme le premier ministre anglais en a offert le spectacle, confondant.
– Vous faites le malin, répond-on. Qu’auriez-vous fait à leur place ?
– Je n’ai jamais brigué le pouvoir. Les citoyens que nous sommes ont le droit d’exiger que les hommes qui ont fait leur ambition et leur carrière des affaires publiques soient capables de ne pas nous entraîner, en pleine paix, à un désastre diplomatique que seule une guerre perdue pourrait expliquer.
– Nous n’étions pas de taille à résister.
Pas de taille, après avoir dépensé trois cents milliards pour nos armements, en vingt ans, appuyés sur Grande-Bretagne et tout son Empire, sur l’U. R. S.. S. et ses ressources immenses, étayés par les trente-cinq divisions de l’armée tchèque et par « l’avertissement » donné à la Hongrie par la Roumanie et la Yougoslavie ?
– En somme, vous en revenez toujours .à la guerre, et c’est bien à la guerre que vous nous meniez !
– Je n’en reviens pas à la guerre.. Quand on a affaire à des gangsters, il faut sortir son revolver avant eux. Le premier qui crie « haut les mains ! » gagne. C’était la politique des travaillistes anglais et des conservateurs intelligents.
– Je croyais que vous étiez contre les traités de Versailles, - et pour le rapprochement avec l’Allemagne ?
– Je me suis fait couvrir d’injures, depuis 1919, par mon opposition acharnée à des traités absurdes et à une haine criminelle. Je suis aussi contre une répartition systématiquement inégale des biens et des moyens d’existence dans le monde ; mais quand je vois un individu enfoncer la vitrine d’un .bijoutier pour s’approprier des écrins, je ne peux pas admettre que ce personnage collabore à une solution acceptable du problème social.
– La Tchécoslovaquie n’était pas à l’abri de tout reproche !
– Le piéton qui traverse la chaussée en dehors des clous n’est pas non plus à l’abri de tout reproche. Que penseriez-vous du chauffeur qui en prendrait prétexte pour ne pas s’arrêter et pour le tuer ? C’est pourtant ce que Hitler a fait. »
Pendant toutes ces semaines où j’étais retenu loin de Paris par la maladie, et où le journal m’arrivait, comme à vous tous, achevé, je scrutais, jour par jour, ses informations et sa ligne, avec une attention inquiète.
J’ai lu, - non sans rire, un article de M. Déat, complaisamment reproduit dans certaine presse de province, où il dressait le catalogue des faux et des impostures dont notre journal et ceux qui défendent la même politique se seraient rendus coupables.
Or, dans les quarante-huit heures qui ont suivi, chacune des nouvelles ainsi incriminées a été authentifiée, publiquement, l’une par le Foreign Office, l’autre, à la tribune, par M. Daladier, deux autres, par M. Neville Chamberlain lui-même.
J’ai le droit de dire que nous avons pu être fiers du journal et de ce qu’il a représenté, dans la conscience française et européenne, au cours de cette crise terrible.
Je me demande combien il va s’écouler de semaines ou de mois jusqu’à ce que des foules irritées arrachent les plaques des rues où, avec une hâte étourdie, on a inscrit certains noms.
Déjà les guirlandes et les bouquets ne sont pas encore fanés qu’un silence étonné, un silence terrible, succédant au délire de vendredi et de samedi, commence à recouvrir les peuples de France et d’Angleterre.
La France coupée de tous ses alliés de l’Europe centrale et de l’Est européen, la Petite Entente terrorisée et dispersée, la Belgique rejetée vers le Reich hitlérien, notre pays laissé en tête-à-tête avec les deux dictatures fascistes et l’Angleterre des tories (l’Angleterre ennemie du Front Populaire et des lois sociales, l’Angleterre ennemie de la République espagnole), voilà à peu près le spectacle que nous offre la « victoire » de Munich.
Jamais humiliation plus grande n’a atteint ce peuple depuis qu’il s’est donné le régime de son choix, un régime de liberté.
Disons d’ailleurs que cette capitulation était tout entière en germe dans celle du 8 août 1936... La presse italienne a imprimé le mot : « Un Sedan diplomatique des démocraties. »
Hélas ! Sedan est encore à venir. Sedan est pour demain.
Aujourd’hui, ce n’est encore que Sadowa.- Sadowa sous les fleurs.
De l’excès même du mal, de l’humiliation, de la menace, du péril, un bien peut sortir. l’Allemagne de 1918, la Russie de 1917 étaient tombées plus bas encore.
Il nous appartient de travailler au relèvement de la démocratie française, du peuple français, - de la France et de ses espérances.
Ce sera dur, difficile, dangereux. Nous n’épargnerons pas nos forces. En route et en avant !
JEAN-RICHARD BLOCH
(Europe, 15 octobre 1938, pages 243-252