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COMPARAISONS D’INTERPRETATIONS DE BACH

Marianne, 10 Mai 1933

Article mis en ligne le 17 octobre 2010

Marianne, 10 Mai 1933

Livrons-nous aujourd’hui au petit jeu des comparaisons et des classements. M.Cortot nous offrait, il y a peu de semaines, en deux petits disques « Gramophone », étiquette rouge (DA 1.259 et 60), le « Concerto Brandebourgeois n°8 en sol majeur, de Bach, pour cordes seules, exécuté, sous sa direction, par l’orchestre de musique de chambre, de l’Ecole Normale de Musique. Peu après, The British Symphony Orchestra, dirigé par Sir Henri J. Wood exécutait le même concerto pour « Columbia » (un grand disque, étiquette bleue, LFX 286). Je les ai signalés en leur temps l’un et l’autre.

Faisons-les tourner coup sur coup. D’une part, une version pure, soignée, pleine de mesure, de science et d’ordre, une interprétation réfléchie et dépouillée. Le sens le plus exigeant du génie classique s’y reflète, mais d’un classicisme plus proche de Racine que de Corneille, et peut-être, plus proche encore de Quinault. Autrement dit, une méfiance extrême contre les égarements de la passion et les excès de la fureur. De l’autre, un mouvement brusque, emporté, une recherche de la sonorité violente, de l’expression dramatique, bref quelque chose d élisabethain, et qui fait penser à Ben Johnson plutôt qu’à la tragédie française.

Laquelle des deux préférer ? Cortot nous conduit, Sir Henry nous bouscule. L’un nous enseigne, l’autre nous domine. Le premier temps a, sans doute, plus d’énergie et d’autorité dans l’édition anglaise, et j’y trouve la version française plus pâle, un peu trop sage. Par contre, le dernier temps offre, dans l’enregistrement « Columbia », une rapidité uniforme, moins nuancée, non exempte de vulgarité, à laquelle s’oppose le modelé beaucoup plus musical de l’édition française. Ajoutons que ce modelé n’empêche pas, ici, la fougue ni le mouvement. Si j’avais à trancher la question, j’opterais, je crois, et non sans avoir hésité, pour la version de M. Sir H. Wood.

* * *

Nous possédions, depuis un an et davantage, un enregistrement puissant en trois grands disques « Gramophone » du « 2è Concerto Brandebourgeois, par l’Orchestre Philarmonique de Philadelphie, sous la baguette magistrale et parfois dangereusement magique de Stokowski. « Polydor » nous apporte le même ouvrage en deux disques (27.293 et 94) sous la direction d’Aloïs Melichar, à Berlin.

Les deux premiers disques de Stokowski sont hors ligne. Vous y retrouverez les profondes sonorités d’orgue (j’allais écrire : « les sonorités organiques », et cela n’eût pas été moins exact), la plénitude des timbres, l’intensité des masses, la puissance, la douceur, le modelé saisissant, auxquels ce chef d’orchestre nous a habitués.

Les choses se gâtent sur la cinquième face. Vous vous rappelez la formidable partie d’orchestre qui forme une des célébrités de ce Concerto, cette phrase éclatante, d’une vulgarité jupitérienne, digne du roi des Dieux, comme du roi de la musique, ces variations à perdre haleine (a squarcia -ola), que l’excellent soliste de nos grands concerts parisiens, M. Rigal, joue avec une telle fougue, et au terme desquelles il arrive, hors de souffle, menacé de congestion mais ivre de son propre triomphe ? Nous avons souvenir de telle exécution dirigée par M. Straram, qui fut, à cet égard, un sommet rarement atteint, un comble de « raptus » dionysiaque.

Par quelle aberration Stokowski a-t-il noyé dans l’orchestre cette majestueuse et torrentielle partie de trompette ? On ne l‘y perçoit plus qu’à peine. A-t-il redouté l’effet de ces sonorités éclatantes sur la cire de l’enregistrement ? Je ne peux expliquer d’autre façon une timidité qui altère jusqu’à l’anémie ce divin finale.

(Par bonheur le verso de ce troisième disque nous offre un « Prélude de Chorale » de Bach, égal à tout ce qui a été gravé de plus parfait.)

Prenons l’édition Melichar. Les deux premiers temps du concerto sont nettement inférieurs à la version du chef d’orchestre américain. Nous arrivons au troisième, et la même surprise nous attend : évanouie la trompette ! Elle a disparu comme chez Stokowski.

Y a-t-il à l’enregistrement de cet instrument un obstacle technique sur lequel les deux chefs d’orchestre auraient également buté ?

Jean Richard BLOCH


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