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À LA MESURE DE WAGNER

Marianne, 24 Mai 1933

Article mis en ligne le 17 octobre 2010

Marianne, 24 Mai 1933

Saviez-vous que Wagner revient à la mode en Allemagne ? Les quinze dernières années avaient marqué là-bas, un déclin foudroyant du Maître de Bayreuth. L’opinion publique associait sa pompe oratoire, les énormes cartonnages de ses décors, ses orages instrumentaux, ses cuivres emphatiques, ses attitudes augurales, son symbolisme raciste, à l’ère tapageuse et spectaculaire des Hohenzollern. Elle rejetait le tout à la fois. La sensibilité allemande était lasse de grandiose. Elle avait une courbature d’héroïsme, une nausée d’éloquence. Il n’y en avait plus que pour l’art bref et sarcastique d’un Piscator, d’un Georg Gross, d’un Kurt Weill.

Voici que la république, ère de Rathenau, esprit de Weimar, modérantisme social-démocratique, libre pensée, nudisme, sont allés par le fond. Fini, le ricanement de Berlin ! La vieille Allemagne de la Frau Professor revient sur l’eau, avec ses bas mal tirés et sa bible luthérienne, son intolérance, ses butterbrötschen, ses trois K (Eglise, cuisine, enfants), ses pasteurs, ses sous-officiers, ses hussards de la Mort, son romantisme échevelé, ses serments au clair de lune, ses sabbats sur le Brocken, ses hymnes puissants, son ivresse de se sentir un troupeau et sauvée de l’individualisme- sa volupté de se retrouver au chaud parmi les Siegfried blonds et les Parsifal aux yeux bleus, hors de la présence des slaves, des juifs et des latins, trop intelligents.

Hitler paraît et traîne Wagner derrière lui. Kurt Weill passe la frontière avec un « Opéra de Quat’Sous »et ses Mahagonny. Mozart lui-même ne « fait » plus que des quarts de salle. Mais « Tannhäuser », « Lohengrin », le « Ring » voient affluer des publics rajeunis, naïvement idolâtres, candidement ensorcelés. « Le maître magicien recommence ses tours d’illusionnisme, ses passes magnétiques, et, après quinze ans d’échecs, il les réussit de nouveau.

« odéon »(123744 et 745) nous offre, en deux disques, l’un de ses maîtres tours : le »Prélude de Parsifal, heureusement enregstré dans son entier, par M.Pierné et l’orchestre Colonne. Belle et royale exécution, à laquelle je ne reprocherai qu’un peu d’uniformité. « Parsifal » est, certes, un drame religieux, mais ce n’est pas un oratorio. Sous le symbole mystique, grouillent les larves et les démons. Les filles-fleurs ne sont jamais loin. Chez wagner lui-même, elles couraient toujours à fleur de peau. Or on les rencontre dans ce prélude ; l’enregistrement actuel les sacrifie un peu trop à l’ordonnance de la Rédemption.

Chez « Odéon »encore, (123037) M.Rouard, baryton de notre Opéra, interprète les plaintes d’Amfortas » dans « Parsifal ».La voix est chaude, le sentiment musical, profond. Le sentiment dramatique l’est moins. L’artiste chante la note plutôt que le rôle. En Wagner, la situation théâtrale et le caractère du personnage exigent l’attention non moins que la phrase. Quand Amfortas, s’étant traîné devant l’autel mystique où le miracle du Graal refuse de s’accomplir depuis qu’il a pêché, va procéder à une dernière tentative et s’écrit : « Le voile tombe ! », ce cri terrible devrait faire passer en nous toute la charge d’espoir et de désespoir qui s’est amassée dans le vieux chevalier.

M. Bruno Walter, que le Troisième Reich a chassé, donne chez « Columbia(LFX 301)avec le « London Symphony Orchestra », le merveilleux « Prélude » du troisième acte du « Crépuscule », connu sous le nom du « Voyage du jeune Siegfried sur le Rhin. Très beau disque. J’ai eu la curiosité de le comparer avec un autre, celui que l’Orchestre Straram, conduit par M.Van Hoësslin, a exécuté, il y a quatre ans pour « Pathé » (un disque de 31 cm,
à 80 tours, X, 7209, de la fameuse série Pathé-Art, étiquette multicolore, abandonnée par la suite.

Bien que cette version « Pathé » ait le tort de ne pas comporter les premières phrases de l’admirable morceau symphonique, je lui consacre encore ma préférence. C’est un chef-d’œuvre non seulement d’enregistrement, mais encore d’expression et de poésie. Puissance et délicatesse s’y conjuguent. Les moindres nuances orchestrales y sont rendues avec une pureté, un horizon, une force de suggestion incomparables.

On a été bien injuste avec cette majestueuse série de 24 disques, consacré à la »tétralogie » chez Pathé, en 1929. elle est inégale mais recèle des trésors. J’y reviendrai, un jour ou l’autre.

Jean Richard BLOCH.


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